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La turlutte turque

DrapeauTurcNeige@Tr(B2) Les bombardements russes, et turcs, continuent au nord de la Syrie. Mais, invariablement, les premiers suscitent des condamnations des Européens, qui fusent immédiatement. Tandis que les seconds suscitent un silence, à peine embarrassé.

Embarras dans les capitales européennes

Ce mercredi, veille de sommet européen, le décalage est frappant. Interrogé par des journalistes, un haut diplomate européen a confié que « pour certains dirigeants (européens), les bombardements russes (1) en Syrie sont quelque chose de préoccupant. Car cela contribue au flux de réfugiés ». Bizarrement, aucun commentaire sur les bombardements turcs (1) dans les zones kurdes. L’explication tient en un seul mot : l’Europe a besoin de la Turquie comme… le thé a besoin d’eau.

Notre ami turc reçu au café autrichien

Le Premier Ministre turc Ahmet Davutoğlu doit normalement (2) se rendre en visite officielle à Bruxelles ce jeudi (18 février) reçu avec tous les honneurs : rencontre bilatérale avec le président du Conseil européen, Donald Tusk et avec le chef de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avant une rencontre multilatérale organisée à la représentation autrichienne, avec les dirigeants de neuf pays (dont le président français François Hollande) autour de la question des réfugiés.

Ne pas parler de sujets qui fâchent

L’échange de questions réponses entre la presse et les portes paroles de la Commission européenne au rituel point de midi est un moment du genre. Interrogée par notre collègue de l’agence Europe, la porte-parole de la Haute représentante de l’UE, Federica Mogherini, n’a pu que reconnaitre que « il n’y avait pas eu de contact entre le Service diplomatique européen et les autorités turques depuis la discussion de Münich ». Quant au porte-parole en chef du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, Margaritis Schimas, titillé par les journalistes, il a très vite évacué le sujet, soulignant que l’enjeu principal des discussions entre son chef et le leader turc ne portait pas sur des questions de politique étrangère. Une seule crise à la fois…

Un axe Ankara – Bruxelles

Le mot d’ordre est le même dans toutes les capitales européennes, de Prague à Berlin, en passant par Paris, Rome ou Bruxelles : l’axe de la politique européenne passe aujourd’hui par Ankara qui devient de fait l’allié le plus précieux du moment sur la crise des réfugiés. Il ne faut donc pas s’étonner que les différents responsables européens ne veulent d’aucune façon se prononcer sur les quelques actions militaires menées en zone kurde syrienne par leur ami turc. Et peu importe si les Kurdes, normalement les alliés au sol des Américains et des Français dans leur lutte contre Daech, en pâtissent sur le terrain. C’est la guerre…

Objectif : endiguer le flux des réfugiés

Endiguer le flux — Stemming the flow en bon français comme l’a déclaré un diplomate hexagonal — est en effet devenu la première préoccupation des leaders européens. Les Européens ont déjà promis à la Turquie un paquet de 3 milliards d’euros. Ce qui, en soi, n’est pas énorme pour accueillir aujourd’hui plus de 2 millions de réfugiés (demain 3 millions voire plus). Ils ont promis de rouvrir les négociations d’adhésion — ce qui ne coûte pas cher non plus, car personne ne dit quand elles seront fermées —. Mais la Turquie doit mettre la main à la pâte maintenant sur les réfugiés : en gros ouvrir ses frontières en Syrie, nourrir et donner du travail sur son sol aux demandeurs d’asiles… et les garder et fermer ses frontières côté européen.

Conclusion : les Turcs peuvent continuer à bombarder gentiment les zones kurdes en Syrie tant qu’ils ne se font pas “pincer” par la chasse aérienne russe. Ce qui serait alors un autre sujet de discussion … un peu plus sérieux.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Les premiers (russes) ont lieu par l’aviation essentiellement, les seconds (turcs) ont lieu par l’artillerie. Les Turcs ne se risquent plus à envoyer des avions dans le ciel syrien.

(2) Maj – Une rencontre qui a été remise en cause ou reportée, après l’attentat à Ankara contre un véhicule transportant des militaires ce mercredi.

(crédit photo : MoD turc)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).