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Sarkozy : « ah oui j’avais oublié, il y a l’Europe de la défense »!


Stupéfiant !  …
Vendredi, fin du sommet européen, le dernier de la présidence française (normalement!). Arrive la traditionnelle conférence de presse. Le président en exercice, Nicolas Sarkozy arrive flanqué du Premier ministre (Fillon), du ministre de l’environnement (Borloo), du président de la Commission (Barroso) et du Haut représentant de l’UE (Solana). Un exercice – auquel il excelle et que, visiblement, il adore, qui ressemble davantage à un one man show.La plupart des personnalités à la tribune ne parleront pas, sauf Barroso, le faire-valoir polygotte du président français.

Solana privé de parole. Le président de l’Union européenne décline l’ensemble des priorités (réussies bien sûr) : le Traité de Lisbonne, la crise financière, le paquet climat, tout y passe. Il salue ses collaborateurs : Borloo (qui a bien “déblayé le terrain), Koucher (“un partenaire et un ami indispensable”), Jouyet (que l’on va “regretter”), Fillon, etc.. Puis, Barroso, dans le rôle du “monsieur Loyal”, dont la tâche est d’être le plus ennuyeux possible  se lance dans une lecture annonante de ses notes… Etonnemment, Javier Solana, le diplomate en chef, n’aura pas droit à la parole, même pour une minute. Ce qui est plus qu’un manque de courtoisie, une faute diplomatique. Mais Sarkozy n’en a cure. Il est impatient de passer à la suite. Durant tout le discours de Barroso, il tapote de ses doigts sur le bureau, cause avec Fillon

“Ah oui j’ai oublié de vous dire”… Avant de lancer le micro aux journalistes, la partie la plus excitante de la conférence de presse, il se ravise et dit : “Ah oui. J’ai oublié que sur la défense européenne, il y a des conclusions extrêmement importantes. Excusez-moi, mais il y a tellement de choses.”… C’est tout. Une des quatre priorités de la présidence française est expédiée, dans un coin, comme un paquet honteux. Le résultat, pourtant, n’est pas négligeable (voir ici). Et des progrès ont été incontestablement franchis, “à pas comptés”. Mais le président ne tient à pas s’y attarder apparemment.Cependant il a des choses à dire…

“Ne pas un être un nain en matière de défense”. Répondant à une question d’un journaliste il trouve le moyen de décrire sa vision : “L’Europe doit exister, être ambitieuse, arrêter d’être naive, bousculer le monde qui change. (…) C’est çà qui a manqué à l’Europe: l’ambition, la volonté de porter le modèle européen, sans agressivité envers les autres, y compris la défense européenne. Cela ne me gêne pas du tout de dire : en coopération avec l’OTAN, avec nos amis de l’OTAN, mais l’Europe doit avoir une politique de défense à elle avec ses alliés. Mais l’Europe ne peut pas être un nain en matière de défense et un géant en matière économique. Ce n’est pas possible. Sur des sujets de cette nature, vraiment, on a trouvé un parfait accord. Cela progresse“.

“J’ai dans la tête le prochain sommet de l’Otan à Strasbourg”. L’idée est noble mais peu précise. Revenant à la charge, je lui demande de préciser en quoi, pour lui, c’est un succès ? Réponse : « C’est un succès de voir que, maintenant, personne ne voit la politique européenne de défense comme une politique agressive à l’endroit des Etats-Unis. Mais c’est un progrès monumental. Même le Président Bush a dit au dernier sommet de l’OTAN de Bucarest, que la politique européenne de défense était nécessaire. (…) Il faut que l’on avance. Nos amis anglais sont prêts à avancer. Nos amis polonais y prendront toute leur part. L’ensemble des Européens comprennent que ce n’est pas : ou l’amitié avec les Etats-Unis, ou l’indépendance de la sécurité de l’Europe. On peut faire les deux. On doit d’ailleurs faire les deux, ensemble. »

Au final, une vision qui reste très atlantiste et bien européenne. C’est tout. Mais c’est assez clair. Deux options : soit le président n’a pas travaillé ses dossiers et il n’y a personne autour de lui pour lui indiquer quelques éléments de détail… Soit le président a une autre vision de l’Europe de la défense, que celle qu’on présente actuellement. Une vision beaucoup plus atlantiste – qui colle d’ailleurs plus à sa conception de la politique – que communautaire.  Autrement dit, ce qui compte, c’est surtout la réintégration de la France dans les commandements opérationnels de l’Otan (avec le sommet d’avril à Strasbourg – Kehl), son dialogue avec les Etats-Unis pour bâtir (ensemble ?) un pilier européen en son sein. Et non pas vraiment de développer une défense européenne autonome. Une politique qui cadre plus aux besoins également des Américains. Car Sarkozy s’est un peu arrogé ce qui ne lui revient pas. L’intervention de Bush au sommet de Bucarest ne peut être mis au crédit de la présidence française et de l’Europe de la défense. Tout d’abord, elle a eu lieu bien avant la présidence française, début d’avril. Et elle répondait, avant tout, à un souci intérieur américain de réorganisation de l’armée et de la défense américaine (qui entend restructurer ses bases, quitter en partie
l’Europe). Une réflexion engagée outre-atlantique depuis quelques mois (années) déjà…

(NGV)

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).